1.6.11

Servane à la plage


Servane est la fille du couple de pharmaciens installés rue de l'Eglise, à Gordes. Bien sûr, l'été, elle fuit le village et laisse ses parents faire leur année en vendant des tonnes de préservatifs, de pansements et de crèmes solaires.

Elle se transporte en Bretagne, dans une petite station familiale, pour vendre des chichis sur la plage. Elle marche dans le sable toute la journée, elle a des mollets d'enfer. Là, elle rencontre un jour un homme brun, l'air un peu ailleurs, carnet sur les genoux. Il lui achète des chichis, les goûte devant elle, lui demande de s'asseoir à ses côtés.

Très concentré, il lui lit un passage de son manuscrit : "En cuisine, le désir naît de la façon dont la cuisson, la préparation, la présentation voilent et dévoilent l’aliment, source de plaisir. Comme un sexe nu n’est plus érotique sans une lumière, un tissu ou une main pour le voiler/dévoiler, un aliment n’est plus désirable lorsqu’il est examiné sans projection gourmande. Voir dans chaque aliment un médicament ou un danger pour la santé, c’est le réduire à un composé organique. A un objet encore extérieur à notre corps, dont on peut lui refuser l’entrée. Jaugé à l’aune de lectures scientifiques et de modes médicales, l’aliment prend pour nous des allures d’organe étranger : une fois absorbé, la greffe va-t-elle prendre ?"

Elle le regarde, dubitative. Puis retient un fou rire. Puis ne le retient plus.

Le soir, ils dînent ensemble dans un tourist trap.

Le lendemain, elle réussit à l'entraîner dans la mer. Pour entrer dans l'eau froide, il saute d'une jambe sur l'autre en les levant très haut. C'est comique, ils rient ensemble, s'éclaboussent et finissent par se coller l'un contre l'autre, grelottant, tétons durcis pour les deux et sexe rétréci pour lui.

Le soir, ils dînent ensemble dans un restaurant gastronomique. Fauteuil Louis XV et nappes blanches, bar en croûte de sel découpé devant la table, ménagère complète d'argenterie sur les côtés de l'assiette. Tarte fine aux poires. Reuilly. Café. Cognac.

Le lendemain, il pleut. Elle sort sur la plage avec un chapeau. Il reste dans la chambre.

L'hiver d'après, elle reçoit, à Gordes, un exemplaire de son livre avec la dédicace : "Pour Servane et ses chichis."

1 commentaire:

Séverine a dit…

cette dernière phrase fait tout, vraiment