28.4.11

7.4.11

La fille de la tripière


La fille de la tripière. Un sacré numéro. Sa mère, tripière sans doute depuis la grande époque des Halles, petite vieille femme brune, cheveux très courts, visage tavelé, bouche rentrée, l'œil mauvais d'une volaille circonspecte, debout en tablier à rayures toute la journée dans sa boutique. Un étal de moins d'un mètre avec en vitrine des foies, des tripes et des rognons, sous un auvent rouge muleta portant de grosses lettres blanches devenues grises : T R I P E R I E.

En face de ce minuscule commerce, de l'autre côté de la rue pas très large, le café des Allongés. Un rade transmis depuis des décennies mais resté dans son jus début de siècle. Des boiseries lustrées par les épaules, un sol carrelé couvert de fissures, des miroirs tachés, un comptoir noirâtre. Un patron roublard et ventru, aux rouflaquettes rejoignant la moustache, jouant les bourrus pour épater les touristes. Et comme serveuse, la fille de la tripière.

Sonia, en rébellion permanente. Pour bien montrer qu'elle fait ce métier alors qu'elle pourrait en faire un autre bien mieux, elle le fait à moitié, en le sabotant. Elle oublie de nettoyer une table, elle fait poireauter un couple de "connards" dont la gueule ne lui revient pas, elle drague un client dont la femme est allée aux toilettes. Elle râle si on lui fait une remarque, elle hurle quand on lui dit de se calmer, elle balance son plateau lorsqu'un habitué la charrie trop. Tout ça sous le regard sombre de sa mère. Sa mère qui du matin au soir la regarde servir des cafés, des bières, des sandwiches, des salades, des tartes, des kirs.

Triperie Billon,
rue Coquillière,
75001

1.4.11

Le Club des Deux Marches


Ça faisait un petit bout de temps que je n'étais pas allé du côté de mon club préféré, le Club des Deux marches. Nommé ainsi en raison des 2 marches à descendre pour y pénétrer. Situé dans une petite rue près du Jardin du Palais-Royal, le Club des Deux marches a été créé dans les années 1990 par une ancienne prostituée vive et cultivée, Mado. Une longue femme sèche aux cheveux très noirs et aux grands yeux pâles. La voix Mouglalis, la cigarette inséparable. Egérie d'un auteur de polars dans sa jeunesse. Originaire de Bayonne. Accro aux soupes japonaises et aux parfums de Lutens. Reine de son petit monde, le rire et l'indignation faciles.

Le Club n'existe plus.

C'était un soir de juin, après un dîner avec Nora dans un restaurant de mouclades au pineau des Charentes tenu par un couple de Rétais aux cheveux blancs et chemisettes bleu ciel, depuis repartis dans leur île.
Nous entrons dans le Club, curieux. A l'époque, le Jardin du Palais-Royal était encore à l'écart. Colette, le concept-store, n'existait pas encore rue Saint-Honoré. Un grand marronnier ombrageait le bac à sable, sous les fenêtres de l'appartement de Colette, l'écrivain. Pas de boutiques de luxe sous les arcades. Une ambiance générale d'être hors de la ville. Une enceinte désaffectée et ensoleillée, tranquille et familiale, habitée par les étudiants, les moineaux, les vieux, les oisifs, les fantômes des joueurs et des demi-mondaines. Un jardin privé pour connaisseurs.

Et donc, à côté, le Club. Une petite porte de métal jaune, une sonnette. Deux marches plus bas, un écrin sombre et rouge sang, hanté par Mado et ses habitués. Des fauteuils bas et lourds. De petites tables rondes. Une mini piste de danse, tout juste assez grande pour accueillir un couple enlacé. Un comptoir acajou, tenu par Osvaldo, Chilien jeté à Paris par la vie. Osvaldo qui avait d'abord fait ses armes au Harry's Bar, Venise. Et qui à présent régalaient les amis de Mado de ses coquetèles dosés au millimètre.

Osvaldo, la classe.
Toujours un nœud pap en velours milleraies.