, Kim est fou de Valérie Donzelli. Chaque jour, à Cannes, il achète un bouquet de fleurs fraîches et fait le pied de grue devant l'hôtel qu'il pense être le sien. Mais en vain, pour l'instant.
Sa propre chambre, à l'Hôtel des Cornets, se remplit jour après jour de bouquets fanés.
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-Maurice vit à Reims. Comme son grand-père, comme son père, il travaille dans une maison de champagne très renommée, la maison ********. Eux étaient bouchonneurs, remueurs sur la fin de leur carrière. Lui est dégorgeur.
Ses journées sont simples et calmes, quasi monastiques. Le matin, il écoute chez lui France Inter en buvant sa Ricoré dans un bol à carreaux rouges offert par son petit-fils à Noël dernier. Puis il prend sa voiture, fait un petit trajet, se gare sur le parking de la maison ********, salue Aurélie l'hôtesse d'accueil, généralement en train de préparer la visite guidée du jour.
Il passe sa carte pour ouvrir l'ascenseur, puis il descend.
Trente mètres plus bas, dans le dédale de caveaux et de tunnels taillés dans la craie, il retrouve sa raison d'être. Ces millions de bouteilles qui se reposent dans une semi obscurité. Plus précisément, les centaines de bouteilles dont lui est responsable, en raison de son ancienneté - 37 ans de maison. Des millésimes de champagne superbes, qui excitent l'imagination en vous laissant voir les années écrites sur leur cul : 1920. 1929. 1953.
Des magnums, des Jéros. Des flacons aux formes oubliées. Des bouchons déformés par le temps, qui ont poussé comme des champignons, qui se sont enfoncé dans le lien de fer qui les relie à la bouteille. Des caisses pas encore ouvertes, portant les noms de Constantinople, Pondichéry ou Pétrograd.
Et sur les murs de craie, des graffitis invisibles. Des inscriptions datant de la guerre, fléchant une infirmerie. Des cœurs, des prénoms, des messages.
Maurice parcourt ces 32 km de galeries en croisant parfois un collègue à pied, ou sur sa voiturette électrique. La paume levée, ou une petite discussion. L'endroit est intime.
Maurice se voit souvent confier le dégorgement des bouteilles précieuses. Celles que certains clients possèdent mais préfèrent laisser dans leur cave d'origine. Ou celles destinées à devenir des cadeaux prestigieux.
Parfois, ces riches clients aiment déguster leur champagne au fond des caves. Devant eux, Maurice étudie soigneusement le col de la bouteille devant une bougie, seul éclairage de l'événement : par transparence, il regarde où en est le dépôt. S'il est bien sédimenté, tout dur, prés du bouchon, il est prêt à être expulsé de la bouteille. Maurice prend sa pince, dirige la bouteille vers l'ouverture sombre d'un fût posé à l'horizontale et tiraille le bouchon ou la vieille capsule. Au fond des crayères, dans ce caveau, ça pète comme un coup de pistolet. Le bouchon a sauté avec le dépôt. Maurice maintient du pouce la pression du champagne et sert doucement. Il remplit les coupes dressées par une hôtesse sur un fût vertical, maculé de taches et de cire fondue.
C'est du champagne "non dosé", c'est-à-dire sans la dose de liqueur destinée au grand public. Ici, pas de sucre. Le champagne pur. Un truc de connaisseur, que peu de maisons commercialisent.
Et puis jeudi dernier, Maurice a fait partie des heureux élus. Le dircom souriant a annoncé à une brochette d'ouvriers qu'ils étaient sélectionnés pour représenter la maison ******** à Cannes, pour servir le champagne dans les soirées les plus courues du festival.
Alors Maurice veille jusqu'au petit matin à remplir les coupes que vident des élégantes, des vedettes ou des pique-assiettes. Sa crayère lui manque. Surtout pour la température : il y fait 10°, température idéale quand on s'active. L'été, c'est frais et l'hiver, c'est doux.