9.6.11

Hier, j’ai cassé l’Internet



"Hier, j’ai cassé l’Internet. Et en plus je ne m’étais pas lavé le matin. Moi, le portable sur les genoux, dans un vieux fauteuil des années 1950 en skaï vert. Le faux cuir colle à ma peau dès que je sue, c’est assez désagréable mais ça m’a permis des sensations moites lors de séances cybersex. Pied triple à roulettes. Tubes de métal, coussinets sur les accoudoirs et dans le dos. Un accroc dans le revêtement laisse passer un bout de mousse orangée par le jour, craquelée, marron, de plus en plus. Si je me penche en arrière, je peux m’étirer en me cambrant : c’est agréable. D’abord, lorsque je me sens souple, je renverse tellement la tête que je parviens au bord de l’évanouissement. J’aime bien, surtout quand je dois attendre la connexion avec un site et que le réseau est congestionné. Au lieu de patienter en regardant bêtement le pourcentage augmenter par saccades, je me renverse en arrière. Quand je me redresse, j’éprouve une euphorie due à l’afflux sanguin, je vois aussi un brouillard d’étoiles devant les yeux. Lorsqu’elles s’estompent, en général, la connexion est faite. Une autre sensation plaisante en me tordant ainsi, les reins appuyés sur le coussinet : sentir une vertèbre craquer, assez bas, une quinzaine de centimètres au-dessus du coccyx. Mais là, c’est plus pour le frisson. A chaque fois, j’éprouve le soulagement du survivant. Comme celui, j’imagine, d’un sauteur à l’élastique, ou de Lucrèce au premier vers de De Natura rerum. Et si je me renversais un peu trop ? Et si la colonne se rompait ? Un disque qui dérape, qui se déloge de son emplacement…le nerf sciatique qui se barre…Combien de cocktails dînatoires se dérouleraient avant que l’on s’inquiète de ma disparition ? Pas très grave finalement. Dans ces soirées, je suis comme les autres un genre de spectre. Vaguement reconnu de ceux qui m’ignorent, totalement inconnu de ceux qui se détournent après avoir cru me reconnaître, je promène ma flûte."

Mars 2003


Surreal english googletranslated version :

"Yesterday, I broke the Internet. And also I had not washed in the morning. I, the laptop on his knees in an old chair of the 1950 green leatherette. The fake leather sticks to my skin when I sweat, it's pretty uncomfortable but it gave me the feeling sweaty during cybersex sessions. foot triple roller. Tubes of metal pads on the armrests and back. A tear in the lining passes a After foam orange by the day, cracked, brown, more and more. If I look back I can stretch break arching me: it's nice. First, when I'm flexible, I spill head so that I reach the brink of collapse. I like, especially when I have to wait for connection with a site and the network is congested. Instead of looking stupidly wait the percentage increase in short bursts, I reverses back. When I sit up, I feel a euphoria due to blood flow, I also see a mist of stars before his eyes. When fading in general, the connection is made. Another pleasant feeling in me and twisting, leaning on the cushion: cracking a vertebra feel quite low, about fifteen inches above the tailbone. But there is more for the thrill. Every time I feel the relief of surviving. Like that, I guess, a bungee jumper, or the first verse of Lucretius De Rerum Natura . And if I leaned too? And if the column was broken? A disc it skids, which was ripped from its location ... the sciatic nerve that bar ... how many cocktail parties would take place before we worried about my disappearance? Not very serious after all. In the evenings, I am like other people kind of spectrum. Vaguely acknowledged those who ignore me, completely unknown to those who turn away after believing recognize me, I walk my flute. "

March 2003

7.6.11

Smartphones



Munoc se demande s'il n'y aurait pas un effet de vase communicant
entre les smartphones et les cerveaux.

1.6.11

Servane à la plage


Servane est la fille du couple de pharmaciens installés rue de l'Eglise, à Gordes. Bien sûr, l'été, elle fuit le village et laisse ses parents faire leur année en vendant des tonnes de préservatifs, de pansements et de crèmes solaires.

Elle se transporte en Bretagne, dans une petite station familiale, pour vendre des chichis sur la plage. Elle marche dans le sable toute la journée, elle a des mollets d'enfer. Là, elle rencontre un jour un homme brun, l'air un peu ailleurs, carnet sur les genoux. Il lui achète des chichis, les goûte devant elle, lui demande de s'asseoir à ses côtés.

Très concentré, il lui lit un passage de son manuscrit : "En cuisine, le désir naît de la façon dont la cuisson, la préparation, la présentation voilent et dévoilent l’aliment, source de plaisir. Comme un sexe nu n’est plus érotique sans une lumière, un tissu ou une main pour le voiler/dévoiler, un aliment n’est plus désirable lorsqu’il est examiné sans projection gourmande. Voir dans chaque aliment un médicament ou un danger pour la santé, c’est le réduire à un composé organique. A un objet encore extérieur à notre corps, dont on peut lui refuser l’entrée. Jaugé à l’aune de lectures scientifiques et de modes médicales, l’aliment prend pour nous des allures d’organe étranger : une fois absorbé, la greffe va-t-elle prendre ?"

Elle le regarde, dubitative. Puis retient un fou rire. Puis ne le retient plus.

Le soir, ils dînent ensemble dans un tourist trap.

Le lendemain, elle réussit à l'entraîner dans la mer. Pour entrer dans l'eau froide, il saute d'une jambe sur l'autre en les levant très haut. C'est comique, ils rient ensemble, s'éclaboussent et finissent par se coller l'un contre l'autre, grelottant, tétons durcis pour les deux et sexe rétréci pour lui.

Le soir, ils dînent ensemble dans un restaurant gastronomique. Fauteuil Louis XV et nappes blanches, bar en croûte de sel découpé devant la table, ménagère complète d'argenterie sur les côtés de l'assiette. Tarte fine aux poires. Reuilly. Café. Cognac.

Le lendemain, il pleut. Elle sort sur la plage avec un chapeau. Il reste dans la chambre.

L'hiver d'après, elle reçoit, à Gordes, un exemplaire de son livre avec la dédicace : "Pour Servane et ses chichis."

31.5.11

La Tourette inversée


Iriza est atteinte du Syndrome de la Tourette Inversé, elle ne peut s'empêcher de parler châtié.

"Bien le bonjour gente dame, je désirerais, si cela vous sied, essayer
sur le col de mon pied l'un des superbes souliers entrevus dans votre sublime vitrine.*"




*Trad. en La Tourette traditionnelle :
"Salut grosse pute, je voudrais me foutre au panard ta saloperie
d'écrase-merdes que j'ai reluqué dans ta pauvre vitrine de zob.
"



30.5.11

The tree of life


Hier, Alex est sorti de The tree of life avec le cosmos dans la tête. Pour lui, pas de souci avec les dinosaures, les planètes et les cascades. C'est comme si quelqu'un avait enfin filmé ce qu'il avait toujours ressenti. Par rapport à la vie, à la famille, à l'absurde.

Il retrouve Raven à l'heure dite, sous la fontaine. Ils s'embrassent doucement. L'air est à l'orage. Ils montent dans son deux-pièces, se déshabillent. Pendant qu'il enlève sa chemise, il lui raconte comment il a compris The tree of life.

Nue, assise sur un tabouret, guitare sur les genoux, elle l'écoute en caressant les cordes des doigts.




18.5.11

Les seconds rôles du festival de Cannes : Béatrice de Moisy


Longtemps directrice des relations publiques d'une prestigieuse maison de haute-couture, licenciée du jour au lendemain, Béatrice de Moisy a passé quelques jours sonnée dans son triplex.

En t-shirt et en caleçon, se nourrissant de tablettes de chocolat noir et de bordeaux, passant de son canapé à son lit à son hamac à sa baignoire à son lounge chair blanc, elle avait pris le temps de réfléchir. Après tout, ce poste l'ennuyait à mourir. Obligée de vivre dans une culture maison terriblement lourde, violente et hautaine. La bouche empesée de mots mille fois rabâchés aux journalistes et visiteurs de prestige. Le dos coincé de devoir sourire autant. L'estomac blasé par les déjeuners horriblement chers et légers. Elle se rappela son dernier risotto, pris à La Capitale, en compagnie d'un vieux couturier botoxé et cassant, de deux journalistes boursouflés et d'une jeune actrice en vue déprimante d'espoirs béats.

Un risotto aux grains de riz durs comme des graines à perruches. Une onctuosité de pacotille sans doute obtenue en versant une bousée de crème liquide en brique. Deux chips de parmesan plantés dans le tas visqueux, paumés comme Vladimir et Estragon. Et froid. Et 56 €.

Le souvenir de ce risotto la mit en colère. Elle décida de faire enfin quelque chose d'elle-même. D'arrêter de dilapider son talent. Prendre un avion pour Cannes, sa ville d'origine, à la recherche d'un petit restaurant à acheter. Elle y cuisinerait le meilleur risotto possible. A un prix correct. Pour avoir la satisfaction d'aller errer sur les routes italiennes à la recherche du riz idéal. Pour avoir le plaisir de produire une chose bien réelle, bien tangible. Pour voir du monde passer chez elle, pour avoir des gens qui lui touchent le bras gentiment, qui la prennent par l'épaule pour la féliciter, qui l'aiment bien.

Voilà ce qu'elle ferait.
Elle reposa son verre vide sur la table basse et alluma une clope.

17.5.11

Les seconds rôles du festival de Cannes : Jean-Pascal Pougne, traiteur


Jean-Pascal Pougne est convaincu de ressembler à Silvio Berlusconi. Donc, pendant le festival de Cannes, il laisse son commerce aux mains de sa femme Daniela. Il enfile son costume un peu satiné, qu'il a acheté en 1998 et qu'il confie au pressing sitôt le festival terminé.
Il prend alors son air le plus berlusconien et déambule en ville pour attirer les regards et les photographes. Son espoir secret serait d'attirer de jeunes minettes lascives, mais à ce jour, le coup du sosie n'a pas encore fonctionné.

Pendant que son mari berlusconise sans gloire, Daniela, en revanche, a beaucoup de succès avec sa coquille "Dolce Vita", créée spécialement pour le festival du cinéma. Dans une coquille Saint Jacques tapissée d'une légère sauce cocktail aux herbes, elle a imaginée une petite mise en scène très réussie : le face-à-face d'une gambas et d'une crevette charnue, façon Anita et Marcello dans la fontaine de Trévise.

15.5.11

Les seconds rôles du festival de Cannes : Kim, fan de Valérie Donzelli


Depuis qu'il l'a découverte dans La reine des pommes, Kim est fou de Valérie Donzelli. Chaque jour, à Cannes, il achète un bouquet de fleurs fraîches et fait le pied de grue devant l'hôtel qu'il pense être le sien. Mais en vain, pour l'instant.

Sa propre chambre, à l'Hôtel des Cornets, se remplit jour après jour de bouquets fanés.



Les seconds rôles du festival de Cannes : Maurice le dégorgeur
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-Maurice vit à Reims. Comme son grand-père, comme son père, il travaille dans une maison de champagne très renommée, la maison ********. Eux étaient bouchonneurs, remueurs sur la fin de leur carrière. Lui est dégorgeur.
Ses journées sont simples et calmes, quasi monastiques. Le matin, il écoute chez lui France Inter en buvant sa Ricoré dans un bol à carreaux rouges offert par son petit-fils à Noël dernier. Puis il prend sa voiture, fait un petit trajet, se gare sur le parking de la maison ********, salue Aurélie l'hôtesse d'accueil, généralement en train de préparer la visite guidée du jour.

Il passe sa carte pour ouvrir l'ascenseur, puis il descend.

Trente mètres plus bas, dans le dédale de caveaux et de tunnels taillés dans la craie, il retrouve sa raison d'être. Ces millions de bouteilles qui se reposent dans une semi obscurité. Plus précisément, les centaines de bouteilles dont lui est responsable, en raison de son ancienneté - 37 ans de maison. Des millésimes de champagne superbes, qui excitent l'imagination en vous laissant voir les années écrites sur leur cul : 1920. 1929. 1953.

Des magnums, des Jéros. Des flacons aux formes oubliées. Des bouchons déformés par le temps, qui ont poussé comme des champignons, qui se sont enfoncé dans le lien de fer qui les relie à la bouteille. Des caisses pas encore ouvertes, portant les noms de Constantinople, Pondichéry ou Pétrograd.

Et sur les murs de craie, des graffitis invisibles. Des inscriptions datant de la guerre, fléchant une infirmerie. Des cœurs, des prénoms, des messages.

Maurice parcourt ces 32 km de galeries en croisant parfois un collègue à pied, ou sur sa voiturette électrique. La paume levée, ou une petite discussion. L'endroit est intime.

Maurice se voit souvent confier le dégorgement des bouteilles précieuses. Celles que certains clients possèdent mais préfèrent laisser dans leur cave d'origine. Ou celles destinées à devenir des cadeaux prestigieux.

Parfois, ces riches clients aiment déguster leur champagne au fond des caves. Devant eux, Maurice étudie soigneusement le col de la bouteille devant une bougie, seul éclairage de l'événement : par transparence, il regarde où en est le dépôt. S'il est bien sédimenté, tout dur, prés du bouchon, il est prêt à être expulsé de la bouteille. Maurice prend sa pince, dirige la bouteille vers l'ouverture sombre d'un fût posé à l'horizontale et tiraille le bouchon ou la vieille capsule. Au fond des crayères, dans ce caveau, ça pète comme un coup de pistolet. Le bouchon a sauté avec le dépôt. Maurice maintient du pouce la pression du champagne et sert doucement. Il remplit les coupes dressées par une hôtesse sur un fût vertical, maculé de taches et de cire fondue.

C'est du champagne "non dosé", c'est-à-dire sans la dose de liqueur destinée au grand public. Ici, pas de sucre. Le champagne pur. Un truc de connaisseur, que peu de maisons commercialisent.

Et puis jeudi dernier, Maurice a fait partie des heureux élus. Le dircom souriant a annoncé à une brochette d'ouvriers qu'ils étaient sélectionnés pour représenter la maison ******** à Cannes, pour servir le champagne dans les soirées les plus courues du festival.

Alors Maurice veille jusqu'au petit matin à remplir les coupes que vident des élégantes, des vedettes ou des pique-assiettes. Sa crayère lui manque. Surtout pour la température : il y fait 10°, température idéale quand on s'active. L'été, c'est frais et l'hiver, c'est doux.



28.4.11

7.4.11

La fille de la tripière


La fille de la tripière. Un sacré numéro. Sa mère, tripière sans doute depuis la grande époque des Halles, petite vieille femme brune, cheveux très courts, visage tavelé, bouche rentrée, l'œil mauvais d'une volaille circonspecte, debout en tablier à rayures toute la journée dans sa boutique. Un étal de moins d'un mètre avec en vitrine des foies, des tripes et des rognons, sous un auvent rouge muleta portant de grosses lettres blanches devenues grises : T R I P E R I E.

En face de ce minuscule commerce, de l'autre côté de la rue pas très large, le café des Allongés. Un rade transmis depuis des décennies mais resté dans son jus début de siècle. Des boiseries lustrées par les épaules, un sol carrelé couvert de fissures, des miroirs tachés, un comptoir noirâtre. Un patron roublard et ventru, aux rouflaquettes rejoignant la moustache, jouant les bourrus pour épater les touristes. Et comme serveuse, la fille de la tripière.

Sonia, en rébellion permanente. Pour bien montrer qu'elle fait ce métier alors qu'elle pourrait en faire un autre bien mieux, elle le fait à moitié, en le sabotant. Elle oublie de nettoyer une table, elle fait poireauter un couple de "connards" dont la gueule ne lui revient pas, elle drague un client dont la femme est allée aux toilettes. Elle râle si on lui fait une remarque, elle hurle quand on lui dit de se calmer, elle balance son plateau lorsqu'un habitué la charrie trop. Tout ça sous le regard sombre de sa mère. Sa mère qui du matin au soir la regarde servir des cafés, des bières, des sandwiches, des salades, des tartes, des kirs.

Triperie Billon,
rue Coquillière,
75001

1.4.11

Le Club des Deux Marches


Ça faisait un petit bout de temps que je n'étais pas allé du côté de mon club préféré, le Club des Deux marches. Nommé ainsi en raison des 2 marches à descendre pour y pénétrer. Situé dans une petite rue près du Jardin du Palais-Royal, le Club des Deux marches a été créé dans les années 1990 par une ancienne prostituée vive et cultivée, Mado. Une longue femme sèche aux cheveux très noirs et aux grands yeux pâles. La voix Mouglalis, la cigarette inséparable. Egérie d'un auteur de polars dans sa jeunesse. Originaire de Bayonne. Accro aux soupes japonaises et aux parfums de Lutens. Reine de son petit monde, le rire et l'indignation faciles.

Le Club n'existe plus.

C'était un soir de juin, après un dîner avec Nora dans un restaurant de mouclades au pineau des Charentes tenu par un couple de Rétais aux cheveux blancs et chemisettes bleu ciel, depuis repartis dans leur île.
Nous entrons dans le Club, curieux. A l'époque, le Jardin du Palais-Royal était encore à l'écart. Colette, le concept-store, n'existait pas encore rue Saint-Honoré. Un grand marronnier ombrageait le bac à sable, sous les fenêtres de l'appartement de Colette, l'écrivain. Pas de boutiques de luxe sous les arcades. Une ambiance générale d'être hors de la ville. Une enceinte désaffectée et ensoleillée, tranquille et familiale, habitée par les étudiants, les moineaux, les vieux, les oisifs, les fantômes des joueurs et des demi-mondaines. Un jardin privé pour connaisseurs.

Et donc, à côté, le Club. Une petite porte de métal jaune, une sonnette. Deux marches plus bas, un écrin sombre et rouge sang, hanté par Mado et ses habitués. Des fauteuils bas et lourds. De petites tables rondes. Une mini piste de danse, tout juste assez grande pour accueillir un couple enlacé. Un comptoir acajou, tenu par Osvaldo, Chilien jeté à Paris par la vie. Osvaldo qui avait d'abord fait ses armes au Harry's Bar, Venise. Et qui à présent régalaient les amis de Mado de ses coquetèles dosés au millimètre.

Osvaldo, la classe.
Toujours un nœud pap en velours milleraies.